La musique classique iranienne connait actuellement un épisode dépressif. Une stagnation. Apprentissage rigide, déjà-vu, impasses des emprunts au folklore... Ce diagnostic n'est pas nouveau lorsqu'il est posé en 2008 par les ténors du sonnati dans une tribune du compositeur iranien Mohammad Reza Fayyâz. Au chevet de ce genre élitiste, les luthistes renommés Hossein Alizâdeh et Mohammad Reza Lotfi (1947-2014) préconisent depuis plusieurs années déjà la transgression des thèmes appris – ou gusheh – comme salut vers de nouvelles émotions. Dans sa mouture 2010, le quintet Moshtaq réunit dans cet esprit de rupture Reza Ghassemi, Sepideh Raissadat et Aydin Bahramlou, tous d'authentiques élèves en exil du second.
Après quinze années de parenthèse artistique, les évènements politiques de 2009 ont agi comme un électrochoc sur le quintet Moshtaq. De ses cendres, l'ensemble, très remanié, s'est refondé autour d'un projet artistique en réaction à la tristesse chronique de la production iranienne actuelle – et certainement à son défaut d'image – ciblant à dessin la forme plutôt que le désenchantement intrinsèque du genre. Le compositeur Reza Ghassemi a imaginé un remède à base de gaité et d'inadvertance.
Repartant d'une page (presque) blanche, ce « redécollage » bannit par exemple tahrir et percussions traditionnelles, jugés trop caricaturaux. La formation concatène ici de façon étonnamment moderne des taraneh connus en suites revigorées, respectivement en mode Bayat Tork et Rast Panjgah. Pour ce faire, Ghassemi réunit pas moins de quatre setâr à l'unisson, une formule expérimentée ponctuellement dans le passé par le setâriste Jalal Zolfonoun (1937-2012). Affranchi de toute pesanteur, ce Moshtaq « 2.0 » nous assène ses syncopes sous amphétamines et ses entrechats de la main gauche. Ni apartés, ni fioritures ici, mais une célérité bien sentie, qui métamorphose les titres repris et enchainés.
Légèreté, entrain : aux oreilles de leurs compatriotes, l'impromptu des orchestrations dynamiques éclipse sans doute le vague déjà-vu de la sélection. Toute la suite durant, la voix agile de Sepideh Raissadat répond au crépitement du setâr dans son inflation rythmique. Le ney, hululant, emprunte au folklore Katuli un code local de l’enthousiasme.
Pour la suite en Rast Panjgah, c'est une autre affaire. Setâr et avaz tronqués alternent d'abord courtement, se jouant de leur dramaturgie d'usage. Instrumentistes et voix s’y délectent manifestement des effets flatteurs des transitions. Par un artifice de composition bien connu chez Mohammad Reza Lotfi, les setârs portent enfin au rouge le thème simple d'Az in marg matarsid pour se consumer en un zekr fiévreux de cauda du meilleur effet. « Bon sang ne saurait mentir ».
En cette décennie où d'incommensurables maîtres du sonnati viennent à nous quitter, la guérison du genre, voire sa réforme, s'écrivent déjà. Moshtaq n'est pas seul, mais tous les prétendants ne se valent pas. Refusant l'euthanasie du malade, Mohammad Reza Fayyâz admet la diversité des thérapies à l'essai : « Notre "malade imaginaire" n’est pas encore conscient du chemin parcouru, de la phase hégémonique à la phase pluraliste. » Admettons au moins qu'un vaccin revigorant a été trouvé.
Par Pierre D’Hérouville | akhaba.com